VERHILLE Arnaud
15 avril 2001
Après un demi-siècle d'abandon et d'anarchie, l'île est reprise en main par l'administration royale. Des hommes, tels que Jean-Baptiste de Villers, gouverneur du 12 juin 1701 au 5 août 1709, et Antoine Boucher, son adjoint, organisent et réglementent la vie des colons à travers différentes ordonnances. Les terres sont mises en valeur d'où la nécessité d'aller chercher de la main-d'oeuvre sur les côtes malgaches.
En outre, Jean-Baptiste de Villers autorise les habitants à faire du commerce entre eux, alors qu'à l'époque l'achat et la vente de marchandises devaient s'effectuer dans les magasins de la Compagnie des Indes. On assiste par conséquent à une reprise économique.
``Il s'agit d'un véritable administrateur''[2]. Son prédécesseur, La Cour de la Saulais ayant, si l'on en croit les différents récits, laissé le souvenir d'un gouverneur "mondain, ami des fêtes et des danses"[2].
De Villers débarque à Bourbon à l'âge de 30 ans. Au cours de la première année de son séjour, l'homme va étudier méthodiquement les ressources et les potentialités du pays. Assisté du garde-magasin, René Le Pontho, il entreprend même une reconnaissance de l'intérieur des terres, il pousse ainsi jusqu'à la Plaine-des-Cafres, où un piton porte aujourd'hui son nom.
Sous son gouvernement, la colonie va connaître un nouveau souffle : Jean-Baptiste de Villers prend en effet de nombreuses mesures pour mettre l'île en valeur. Pour ce faire, il bénéficie de l'aide d'un adjoint, Antoine Boucher, arrivé à Bourbon au début de l'année 1702. Il remplacera ainsi René Le Pontho, gravement malade. La collaboration entre ces deux hommes fonctionnera à merveille.
La vie de la colonie est alors organisée et réglementée par trois ordonnances:
Il faut dire que les esclaves, avides de liberté, cherchaient à s'enfuir par tous les moyens. Aussi, sous son gouvernement, Jean-Baptiste de Villers fut-il confronté au marronnage. Il décida néanmoins d'y faire face, de façon cruelle.
La pratique pour punir un esclave capturé après sa fuite était de lui donner le fouet et de le marquer là encore à la fleur de Lys, à l'aide d'un fer chaud. Cependant, le châtiment, estima-t-il n'avait pas réussi à dissuader les esclaves de s'enfuir dans les montagnes. Raoul Lucas et Mario Serviable rapportent de lui cette phrase : "Les Noirs ne recevant cela que comme une brûlure et plusieurs qui l'ont eu s'estant vantés qu'ils ne s'en souciaient pas"[6]. Il proposa donc de couper systématiquement le pied ou la jambe de chaque fugitif, "cela les empêchait de s'en aller et ils n'en rendent pas moins bon service à leur maître"[6].
En 1705, la question de la sécurité des hommes et des biens sera dramatiquement posée sous de Villers, où plusieurs complots furent découverts. Ainsi, les esclaves "avaient fait une ligue affin2 d'égorger hommes, femmes et enfants qu'ils auraient trouvés dans leurs demeurances pour, après estres armés, venir assassiner le gouverneur dans sa maison et tous ceux qui s'y seroient trouvés pour se rendre les Maîtres de l'isle"[6]. Les auteurs rapportent qu'une dénonciation opportune évita de justesse le massacre de la famille de Manuel Texere isolée à la Possession. Les meneurs furent arrêtés, jugés et condamnés.
C'est à Antoine Boucher, garde-magasin, secrétaire de la Compagnie et procureur fiscal, que l'on doit le recensement de 1704. On y voit que la colonie compte alors quatre-vingt-douze familles, dont quatre-vingt-deux qui ont à leur tête des hommes parmi lesquels l'on retrouve de nombreux Européens issus des premiers convois ; près d'un tiers de ces chefs de famille appartiennent à la nouvelle génération et sont des "créoles de mascarin", la plupart "basanés".
On s'aperçoit également que les esclaves amenés par les forbans ou recrutés en Afrique, aux Indes ou à Madagascar, se multipliaient au même rythme que les colons.
La population atteignait donc, environ quarante ans après la première installation, le chiffre de 734 personnes avec femmes, enfants et esclaves. Un nouveau recensement, commencé en 1708 et achevé en 1709 montre que le chiffre de la population totale de l'île était passé en cinq ans, de 734 à 894, dont 387 esclaves. "En ce temps-là, il y avait pas mal de métissage, c'était encore idyllique"[2].
Jean Barassin évoque "une vie trop facile, l'absence de besoins impérieux, le climat très doux. Aisés, ils l'étaient, du seul fait de la facilité qu'il y avait à vivre à l'Isle Bourbon"[8].
Parallèlement à la répression du marronage et des complots, on assiste à une reprise économique. "Jean-Baptiste de Villers va autoriser les habitants à faire du commerce entre eux. Or, à l'époque, l'achat et la vente de marchandises devaient s'effectuer dans les magasins de la Compagnie des Indes. Toutefois, il a maintenu l'interdiction de trafiquer avec les corsaires"[4].
Une interdiction fort peu respectée. "Les relations entre les corsaires et les habitants de Bourbon (...) reprirent sous le gouvernement de M. de Villers ; elles devinrent tout à fait courantes et même presque officielles"[5].
Les corsaires de l'océan Indien, français, anglais, hollandais, avaient constitué entre eux de véritables associations qui avaient leurs quartiers généraux en plusieurs points de la côte de Madagascar. Mais Bourbon seule, précise Jean Farchi, pouvait leur offrir les "rafraîchissements" qu'ils ne trouvaient pas dans la Grande Ile : aussi leurs navires s'y arrêtent-ils six fois en six ans, deux fois en 1702, puis en 1704, 1705, 1706 et 1707.
"Les habitants vendaient leurs produits fort cher aux corsaires. Et les corsaires, à qui l'or ne manquait pas payaient tout sans marchander"[5]. (Voir le chapitre 2.3, page pour plus de précisions)
Autant de relations régulières qui amenèrent une nouvelle prospérité. Pour preuve : des sommes considérables furent envoyées durant cette période aux Indes. "L'île a quand même pu prêter 150 000 écus à Pondichéry"[4].
Dès l'âge d'or de la flibuste antillaise ( deuxième moitié du XVIIe siècle et début du XVIIIe siècle), des capitaines pirates fameux écument l'Océan Indien : s'ils n'ont pas la promesse de l'or espagnol comme leurs collègues des Amériques, ils convoitent d'autres richesses au moins aussi alléchantes, comme les épices, les tissus, les esclaves des marchands arabes de la mer Rouge et surtout les richesses mythiques des princes indiens, notamment celles du grand Mongol.
Ainsi, à la fin du XVIIème siècle, Madagascar, oubliée des nations européennes depuis le massacre de Fort Dauphin, devient le repère de prédilection pour des bandes de pirates menées par des capitaines dont les noms deviennent des légendes : le capitaine Avery aurait fondé un royaume malgache et serait devenu plus riche que les rois européens3; les capitaines Misson, Caraccioli et Tew seraient les gouverneurs de Libertalia4, une république pirate utopique située dans la baie d'Antongil, et dont l'histoire se serait terminé dans le sang. Dès lors, l'Océan Indien apparaît, à l'époque même de la gloire des Antilles pirates, comme un paradis pirate virtuel.
En 1700, Philippe V, petit fils de Louis XIV, monte sur le trône d'Espagne. La France et l'Espagne désormais alliées, la flibuste française de la Tortue et de Sainte Domingue n'est plus tolérée5. En 1717, George Ier d'Angleterre fait sa proclamation pour la réduction des pirates, les derniers capitaines pirates réunis à l'île de Providence décident de se séparer, soit pour accepter une éventuelle amnistie, soit pour fuir vers des mers plus hospitalières car moins surveillées : l'Océan Indien est le dernier refuge de ces forbans avant l'extinction de l'aventure de la piraterie océane européenne.
L'île Bourbon, unique colonie européenne de la région depuis l'échec des Français à Madagascar, ne va pas rester absente du phénomène pirate dans l'Océan Indien. La coupure avec la Métropole, l'éloignement de l'Europe et des autres colonies (Mozambique ou Afrique du Sud) en font une escale très intéressante pour les forbans qui peuvent ainsi se réapprovisionner en vivres ou en eau douce, y laisser des pirates ou engager des hommes et surtout dépenser l'or et les richesses du butin.
La plus ancienne relation d'un passage de flibustier dans l'île date de 1687. Après la pendaison de La Buse, en 1730, la piraterie européenne dans l'océan Indien comme dans le reste du monde n'existera plus, du moins sous la forme singulière qu'elle avait revêtu jusqu'ici : la Flibuste. Mais entre ces deux dates, nombre de navires pirates font escale dans l'île, et cette dernière est même le théâtre de hauts faits de l'histoire des forbans.
En novembre 1695, un navire forban fait escale à Bourbon et y débarque "70 flibustiers cousus d'or et d'argent"[10]. Il s'agit sans doute du célèbre Avery qui ne pouvait s'arrêter à Madagascar car il y avait déjà abandonné des compagnons pour éviter d'avoir à partager le butin en trop de parts. Certains des pirates laissés à Bourbon par Avery décidèrent de s'installer dans l'île, d'autres de partir. Ils entreprirent la construction d'une barque, mais, le 2 juillet 1696, l'escadre de Serquigny la détruisit et emmena une vingtaine d'entre eux comme prisonniers en France.
On pense que vers 1710, le moine dominicain et secrétaire d'Etat unijambiste de la République de Libertalia, Caraccioli, aurait fait escale à Bourbon pour y engager des citoyens pirates. C'est ce que laisse supposer le texte de Johnson.
John Bowen6 -ou Jean Bouin pour les textes des archives- célèbre pirate des Antilles dont parle Johnson, fait plusieurs escales à Bourbon et s'y installe même définitivement, après une campagne avec un autre pirate renommé, Nathaniel North, en avril 1704. Il y meurt de la malaria quelques mois plus tard, mais le lieu de sa sépulture reste inconnu.
Thomas White fait plusieurs escales dans l'île, y laisse quelques forbans, et d'après Robert Drury7 meurt lors d'une relâche à Saint-Paul en 1719.
Pour finir cette liste des grands capitaines pirates ayant passé par Bourbon, il faut ajouter les célèbres England, Davis, Taylor et La Buse qui font tous escale dans l'île. Les quatre hommes font des campagnes ensemble puis se séparent8 et les capitaines Taylor et Olivier Levasseur dit "La Buse", tous deux anciens de la réunion de Providence continuent leur expédition. Le 20 avril 1721, jour de Quasimodo, en rade de Saint-Denis, devant la population et le gouverneur venus assister au spectacle, ils prennent la "Virgen del Cabo", navire de 800 tonneaux, où se trouve le comte d'Ericeira, vice-roi des Indes Orientales Portugaises. Cela restera la plus grosse prise faite par des forbans dans l'histoire de la Piraterie. Quelques jours plus tard, c'est au tour du "Ville d'Ostende" de subir le même sort en baie de Saint-Paul. La Buse se fâchera avec Taylor et lui faussera compagnie peu après, emportant avec lui l'immense butin de ces deux prises... Moins d'une dizaine d'années après, il sera pendu à Saint-Paul, événement qui met ainsi fin à l'aventure pirate dans l'Océan Indien. Ce procès, dont une partie des minutes est conservée aux archives départementales de la Réunion, reste encore très mystérieux, et l'on s'étonne que le forban n'ait pu connaître un sort aussi clément que celui de ses compagnons d'arme, largement intégrés dans la société bourbonaise naissante.
Tous ces équipages qui passent, ou restent pour des durées plus ou moins longues à Bourbon, reçoivent bon accueil dans l'île. "Officiellement, ces personnages sont indésirables, et bons pour la corde. Mais comment appliquer la loi, quand on a pour tout armement quelques fusils, des canons tout juste bons pour saluer les visiteurs, et pour toute armée des habitants rarement volontaires pour la bataille ?"[10]
En fait, lorsqu'un forban arrive en vue de la Réunion, les habitants sont plutôt contents, car ils vont pouvoir, enfin, faire du commerce, en vendant très cher des vivres à des marins généralement particulièrement riches et peu avares. Du reste la politique officielle est plutôt de se les concilier que de les avoir pour ennemis : bientôt des ordonnances réglementent les amnisties et l'accueil des forbans.
Ainsi, quand le capitaine pirate Congdom qui, après la prise miraculeuse d'un vaisseau arabe qui lui rapporte 1,3 millions de roupies, décide de prendre sa retraite, il bénéficie, ainsi que son équipage de 135 hommes, d'une amnistie très favorable : il leur suffit de "remettre au préalable leurs armes et munitions de guerre, de renoncer pour toujours à leur désordre, de garder fidélité au Roy de France dont ils se reconnaissent les sujets"[10]. Moyennant cela, ils pourront se retirer "sous le gouvernement de Bourbon où ils jouiront des mêmes avantages, droits et prérogatives des habitants de cette isle sans distinction"[10].
Cet exemple est révélateur de l'intégration réussie des forbans dans l'île. Il faut dire que ce sont bien souvent eux qui introduisent du numéraire à Bourbon, soit en s'installant fortune faite, soit en achetant des vivres ou des armes aux habitants. Comment s'étonner de la grande variété de monnaies utilisées dans l'île.
Tout cet or circulant dans l'île crée une économie artificielle où les prix deviennent extravagants. "La vérité est que la plupart des habitants ont si fort pris la coutume de vendre à outrance aux forbans, qu'ils n'en démordent pas pour quelque considération que ce soit, et les Gouverneurs ny autres, qui ont quelque rang dans ce lieu, ne sont pas exempts de cette petite tyrannie"[7].
Les forbans trouvent donc tout naturellement en Bourbon, le lieu de retraite idéale. Des ordonnances définissent même leurs séjours temporaires. Chaque forban devra donner 15 piastres pour son logement et sa nourriture ; s'il a un noir, il devra donner 5 écus de plus. "L'habitant qui loge un ou plusieurs forbans leur fournira à chacun un lit convenable garni au moins d'un bon matelas, d'un oreiller avec sa souille et d'une couverture ; ces lits doivent être dans une caze ou de bois ou de feuilles construite de manière qu'elle soit pour le moins distinguée de ce qui se nomme hangard ou ajoupa et que les injures du temps ne le puissent pénétrer"[10].
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The translation was initiated by VERHILLE Arnaud Jacques René on 2002-01-05